Je ne me souviens encore moins de ma deuxième année (entre l'âge de un an et l'âge de deux ans) que de la première. J'ai par contre des souvenirs nets de mes deux ans.
Mais je sais ce qu'on m'en a dit et j'ai des souvenirs vagues, indatables mais qui sont peut-être de cette époque là.
Mes souvenirs vagues :
je me souviens d'une tempête sur la mer. C'était en sepembre, je donnais la main à mon père et j'avais le bras en l'air car je n'arrivais pas encore à la hauteur de sa main.
On marchait sur la digue. Mon père a toujours adoré la mer en furie. Alors que nous étions déjà adolescents et même étudiants, il nous emmenait à la mer quand on annonçait des tempêtes ou de très grandes marées. Quand il y avait des paquets de mer qui se brisaient sur les digues (mais ne les brisaient pas encore!)
Je me souviens donc de ce jour où l'on marchait sur la digue. On était venu dans la voiture de quelqu'un d'autre. ça devait être nos voisins qui avaient eu une voiture avant nous, ils avaient une Traction Avant, c'est comme cela qu'on appelait ces grosses voitures noires aux immenses garde-boue et hautes sur pattes. Puis plus tard, ils ont eu une DS. Dans ces voitures on avait de la place. Et ils nous prenaient parfois avec leurs enfants. Toute une tribu dans une grosse voiture.
Ou alors c'était le demi-frère de mon père, celui qui était issus du deuxième mariage de ma grand-mère, car quand mon père a eu deux ans, elle était devenue veuve de guerre.
Mais je crois que c'était plutôt les voisins qui étaient avec nous.
On longeait la mer sur la digue et on voyait les cabines de bain flotter sur l'eau, c'était en Belgique. J'en ai un souvenir gris et sable, parce que la mer était grise, et le ciel était gris et la digue couleur de sable. Les cabines qui devaient être arrimées avec des espèces d'ancrages flottaient sur les vagues déchaînées et le niveau de la mer était à mi hauteur de la digue qui était haute à cet endroit.
Je sais que c'était en Belgique. Et que c'était en septembre (donc en 1952).
On est allé en vacances sur la côte belge avant. De temps en temps, on était rejoint par de la famille, comme le demi-frère de mon père, sa femme et leur fils, on entendait rire sa femme jusqu'au bout de la rue quand elle venait, tellement elle riait fort. Elle avait le même prénom que ma mère et elle criait à l'adresse de ma mère dans un gros rire communicatif "Ouh ouh! Jeanette!" Et comme ma mère était moins expansive, elle la regardait avec un regard mi-amusé, mi-gêné. Elle excusait ma tante auprès des gens de notre rue en disant : "Elle habite à la campagne!" Quand ma tante venait à la mer, toute la plage résonnait de ses "Ouh! Ouh!" et de ses rires sonores! Quand ma tante arrivait à la maison, on l'entendait alors qu'elle était encore dehors et descendait de la voiture en tenant les pans de ses robes fleuries pour ne pas la salir sur le marchepied. Et mes parents disaient "Ah! Ils arrivent! On entend déjà la tante Jeannette!"
Bon, sur la plage, on faisait des châteaux de sable et des barrages sur les ruisseaux qui se formaient à marée basse. Et on attendait que la mer montait pour voir tout s'écrouler : les châteaux de sable et les barrages. On faisait des barrages à l'avant des châteaux de sable pour qu'ils s'écroulent moins vite. J'ai pratiqué l'art du château de sable jusqu'à l'âge de 18 ans environ. Et l'art du barrage de sable encore plus tard. A 18 ans, j'ai fait la ville et les remparts de Carcassonne en sable sur la plage de Narbonne-Plage.
Je sais que je faisais des pâtés et aussi des barrages à un an. On allait jusqu'à mes 3 ans environ en vacances en juin. Donc, c'est en juin 1952 que j'observais très attentivement la construction du barrage qui devait résister le plus longtemps possible aux assaults de la mer du Nord en Belgique. J'avais l'air à cette époque d'un bébé très sérieux. J'étais debout à 13 mois. Donc, je savais bien marcher déjà. J'étais toute seule en train de regarder les grands s'affairer aux jeux de sable. Je regardais cela sérieusement. Je savais que je devais apprendre. J'avais l'air alors d'un bébé très sérieux, un bébé un peu joufflu, mais qui marchait. Je fronçais les sourcils pour comprendre ce que faisait "les grands". l'année suivante, j'ai comencé à sourire et à faire comme les grands, à tenir ma petite pelle comme la grande pelle de maman. C'était l'apprentissage de la vie qui commence très petit et faire des châteaux que la mer va démolir et des barrages qui peuvent craquer à la fois par la pression du ruisseau qui descend des grandes bâches en train de se vider dans la mer, c'était apprendre aussi la vie. Dangereusement même parfois, quand j'étais très petite mes parents étaient encore jeunes et ne se rendaient pas compte du danger!
Mes petits yeux noirs sous mes petits cheveux blonds, se plissaient au soleil et je fronçais les sourcils avec l'air de dire, que fait-on sur la terre? Mais déjà j'aimais l'odeur de l'eau salée et le goût du sel de la mer. Et l'odeur d'iode qui était bonne pour nous, les enfants. Personne ne savait que c'était même bon pour se protéger des dangers atomiques, ce n'est que quelques années plus tard, avec les essais du Sahara qu'on en parlera.
Mais c'est ainsi que j'ai aimé la mer.
A un an et un mois, j'étais déjà trop sérieuse. Mais heureusement j'ai compris très vite le sens du jeu.
On a parlé ensuite de mes souvenirs de mes deux ans. Avant d'avoir deux ans, en revenant des courses dans la grande rue commerciale où habitait mon grand père et où mon grand-père maternel avait son magasin de photographie (on passait leur dire bonjour en faisant les courses), on passait parfois par une toute petite rue qui s'appelait la rue de la limite. Je pense qu'elle devait aussi faire partie de la "frontière"avec la ville où j'ai habité ensuite.
Je me souviens bien qu'on passait par la rue de la Limite avant qu'il s'est produit la terrible chose qui -paraît-il et d'après ce qu'on m'en a raconté - a terriblement marqué mes 2 ans. Soit on passait au bout, soit on passait dedans, parce que cette rue plus étroite que les autres était un raccourci. Et ça je m'en souviens bien, et c'était avant la terrible chose qui s'est passée "rue de la Limite".
Cette terrible chose a dû se passer en 53, si j'avais deux ans, je ne sais plus en quelle saison, mais il ne pleuvait pas, c'est sûr.
Je me souviens que maman demandait "On prend la rue de la Limite ou on continue tout droit?" Peut-être que la rue de la Limite était un coupe-gorge?
Et je me souviens que ce soir là, arrivées sur le coin de la rue de la Limite (mon frère devait déjà aller à l'école, car il n'était pas là et ça devait être l'hiver, car il faisait froid au retour des courses), ma mère a dit "On prend la rue de la Limite ou bien.." J'étais debout à côté de ma poussette quand maman a posé cette question et qu'on s'est arrêtée pour tourner notre tête vers l'entrée de la rue de la Limite, et maman a arrêté la poussette et poussé des exclamations, dans la rue de la Limite, il y avait les pompiers et une maison qui fumait et des flammes. Et ma mère a dit : "Ne restons pas là! Courons vite!" Alors, on est allée tout droit, ma mère poussait la poussette en courant et moi je suivais accrochée à sa main tendue qui tenait mon bras tendu vers le haut. Maman a dit que cet évènement m'a beaucoup marquée et que je ne m'en souvenais sûrement plus car j'étais trop petite pour m'en souvenir, mais que c'était pour cela que j'avais une peur panique du feu. Mais là où je ne suis plus d'accord avec ma mère c'est que, en fait, je m'en souviens comme si c'étais hier, et je me demande qui de nous deux avait le plus peur, car même s'il y avait le feu continu et la cuisinière à charbon dans la maison, je n'avais encore jamais pris conscience que le feu pouvait détruire et tuer.
Et en courant à côté de ma poussette (je en sais pas si ma mère avait peur que le feu se propage à toute la ville, après tout, elle avait vécu la guerre), je posais des questions en demandant ce que c'était et maman disait indiquant une rue parallèle sur la gauche que l'on apercevait par les rues perpendiculaires. Ne regarde pas par là, on voit le feu et la fumée.
Et comme tous les enfants, j'essayais de voir avec curiosité.
Mais c'est rétrospectivement que j'eus peur. Quand je sus ce qui s'était passé exactement.
Après on a appris que quatre personne dont des enfants étaient morts dans cet incendie. Alors, j'ai su que le feu était dangereux. A partir de ce moment là, j'ai pleuré à chaque fois que mon père allumait la cuisinière à charbon, dans le fond de la cusine (pour le feu continu, ça allait encore, car il ne faisait pas de grandes flammes). Quand mon père mettait le papier journal pour allumer le charbon, qui n'était pas d'aussi bonne qualité que celui du feu continue, des grandes flammes sortaient par l'ouverture ronde au dessus de la cuisinière avant qu'il ne ferme le couvercle et j'avais alors, une peur panique, je me réfugiais dans le couloir froid. A partir de ce moment on a dû fermer la porte entre la cuisine et la salle à manger lors de l'allumage du feu et quand dans la ville ou la campagne, je voyais une maison brûlée, je fuyais ou je cachais ma figure derrière mes mains pour ne pas la voir.
Voilà l'évènement qui semble-y-il a terminé ma première année et m'a fait entrer dans ma deuxième année : après la peut des médecins, acquise dès l'âge de 8 mois, j'eus peur du feu.
amalia-dominique
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