mercredi, novembre 21, 2007

Chapitre 5 : Le col du Bonhomme

Ma mère fut la seule à avoir le vertige pendant la montée du col du Bonhomme. Moi, j’étais placée derrière mon père, ma mère faisait écran par rapport au précipice qui était à notre droite, mais à un moment, mon père s’arrêta, pour faire changer ma mère de place parce qu’elle criait tout le temps qu’elle avait peur. Mon frère était devant, « à la place du mort », mais bien qu’il voyait aussi le précipice de près, il n’avait pas peur. Si ma mère était toujours assise derrière, et mon frère devant (à cette époque là, il n’y avait pas de réglementation sur les enfants qui devaient rester derrière, ni de ceintures de sécurité), c’était parce que ma mère, quand elle était devant, s’agrippait à chaque coup de frein au bras de mon père, en poussant un léger cri. Alors, bien qu’on n’avait la voiture que depuis quelques mois, ma mère avait été reléguée dans le fond de la voiture. A coté de sa fille, moi. Si bien que comme ma mère était plus grande que mon frère qui avait alors huit ans, elle me bouchait le paysage. Par contre je voyais bien le paysage en biais sur la droite de chaque coté des épaules de mon frère. Et sur la gauche, je voyais tout. Sur la gauche, il n’y avait pas de précipice.

Pourtant, je regardais sur le coté entre les sapins, car le « précipice » était couvert de sapins et ce n’était pas si impressionnant que cela, c’était comme si on était sur les pentes du Mont Noir ou du Mont de l’Enclus, ou du Mont Cassel ou du Monts des Cats, moins impressionnant même qu’au Mont des Cats, parce qu’au mont des Cats, on voit la plaine au loin.

En descendant du Col du Bonhomme on a commencé à voir les maison à colombages, avec leurs poutres marrons sur des fonds de crépis clairs. Je ne sais pas si à cette époque là, elles avaient été repeintes en couleur, c’était pas longtemps après la guerre, même si je ne l’avais pas connue ; et beaucoup de maisons, dans toute la France avaient plutôt l’air décrépies et les peintures étaient usées. Peut-être que toute petite, j’avais même vu des ruines, en allant à Dunkerque par exemple, mais je ne m’en souviens plus. Mais je me souviens qu’à certains endroits il y avait beaucoup de maisons et de quartiers rasés, avec des champs de cailloux et de briques qui recouvraient le sol. En tout cas, l’Alsace était loin d’être en ruines. Ce n’était pas le Nord.

En Alsace, tout faisait plus vieux que chez nous. Les maisons à colombages étaient archi- vielles. Je ne sais pas si on s’est arrêté à Kaysersberg à l’aller. Peut-être que mon père a dit, on repassera voir les cousines de ta mère pendant les vacances, on a le temps. Il fallait contourner une montagne pour aller au fond d’une vallée. Le but s’appelait Mittlach. On ne prononçait par contre pas le ch à l’allemande comme dans Schlucht, mais on prononçait le ch comme un k. Je savais comment on écrivait Kaysersberg depuis longtemps, peut-être depuis l’âge de trois ou quatre ans, c’était écrit derrière les cartes qu’envoyaient les cousines de ma grand-mère, c’était écrit sur les enveloppes de cartes de vœux qu’envoyait ma mère. J’ai su tout de suite écrire Mittlach. Pour Kaysersberg, on ne prononçait pas le ay comme un ai allemand mais comme un ei néerlandais.
Puis il a fallu contourner une montagne pour aller au fond d’une vallée.

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